]la piscine[

Plic plic plic plic les pieds nus claquent sur le béton bronzé

je cours petit bracelet en plastique rouge autour du poignet le long de la coursive bleue libre dans mon corps tout neuf 

Ils ont inventé des paniers-porte-manteaux bleus
avec des petits trous partout pour aérer le short et le t-shirt et les tongues comme les sandalettes qui respirent autour des pieds et les suivent dans l’eau 

Derrière le grillage ceux qui ne nagent pas
les telluriques les trolls les grondeurs les inquiets les tricoteurs les ennuyeux les adultes
sauf eux 

Là-haut si haut que le bassin ressemble à une bassine
les lignes sinuent à la surface comme des mâchoires douces qui s’ouvrent pour recevoir mon corps voué à l’aventure d’une mort probable
je saute
il est interdit de plonger 

Une rangée de plots bien rangés comme des confitures dans une armoire en fer les orteils agrippés à leur pente en forme de désir qui me fait glisser
corps tendu vissé maîtrisé
l’eau s’écarte sans une éclaboussure et je file en elle comme dans l’air 

Je suis une baleine sur le dos je respire et crache l’eau en 3 jets qui retombent autour de mon visage ensoleillé
le rire de mon frère 

Je veux rester là loin de vous assise au fond
entendre les cris s’épuiser devenir borborigmes
m’asseoir comme du plomb et fondre mes larmes ici
puis m’amuser de vos jambes en algues maladroites de ces culbutos aux couleurs criardes je suis moi
loin
séparée
seule avec mes bulles 

Mes grands-parents ne nagent pas ils m’attendent me regardent ils sont l’amour nu insoluble infini
ils sont la moindre goutte de bonheur
et leurs sourires m’offrent une glace 

]le terrain vague[

30 ans qu'il travaille ici.

Dehors les dernières bouteilles prennent la lumière. Elles sont bleues comme la mer. Il doit attendre le dernier camion, voir partir la dernière palette. Il a pourtant assez maudit cette cahute où il passe ses journées
Ecran de contrôle
illusion
des feuilles punaisées sur un tableau en liège, des feuilles avec des lois, des règlements, des avertissements, des tableaux, des cases
étroit 

Elles vont partir
voguer vers les gosiers ouverts 

Comment quitter cette vie ? En courant ?
Le souvenir de jours qui ne servent à rien. Est-ce cela une entreprise qui fait faillite ? L’avenir a une chance de se faire, mais le passé est lourd
d’un avenir qui n’a pas lieu
d’un amour qui n’est pas reconnu pour ce qu’il est
d’un sacrifice stupide de jours de soleil et de pluie d’odeurs et de couleurs de caresses
de relations qui se taisent au premier écart 

Il faut donc fuir
Laisser ce pantalon qui a recouvert ses jambes d’un vert éteint pendant 30 ans accroché derrière la porte comme s’il allait revenir demain
poser le gros classeur en travers sur la table
on rangera plus tard
éteindre l’écran pour le week-end 

Dehors le terrain devenu vague les carreaux cassés les morceaux de fer en déséquilibre l’herbe folle 

]le lavoir[

Les femmes lavent leur linge les draps les souvenirs douloureux souvent même de petites filles
au lavoir seules entre elles. 
Le linge sale est sec les tâches et les poussières pas lourd tant qu’on ne le mouille pas. 

Celle-ci se tait tape sur son linge avec force force force le rythme s’accélère le visage se durcit nulle autour n’éprouve le besoin de lui demander. On échange trois regards... on n’entend plus que ce battoir... on frotte rince... puis on empoigne un coin de ce drap battu en silence on aide à le sortir de l’eau à le tordre jusqu’à ce qu’il n’ait plus rien à rendre. 

Voici un peu de soleil qui joue sur le mur à faire danser l’eau drôle de bal c’est une musique percussive parfois même les femmes prennent le même tempo parfois même elles chantent toutes ensemble. Cela commence toujours de la même manière c’en est une une qui ne peut pas s’empêcher une qui fredonne 20 ans elle fredonne elle a un bon père et pas encore de mari parfois même ça arrive toute une vie. 

Celle-ci se détourne ne veut pas qu’on la regarde ne veut pas qu’on lui parle ne veut pas chanter 
…ne veut pas ne veut pas ne veut pas non ne veut pas…
Le chignon s’affale au bas de sa nuque quelques cheveux s’en échappent les seins jaillissent du corsage là juste sous le chignon affaissé les femmes entendent et se taisent. 

Je vous interdis de me voir ... 

Elle a posé son panier d’osier rond sur la brouette, brouette de lavandière toute ouverte, étendue libre où poser son battoir.

Les autres sont au travail elles rient aujourd’hui. Pas elle.
Manches retroussées comme un sourire de chien apeuré elle s’installe. Un drôle de silence bourdonne puis un battement
des battements de plus en plus rapides une mèche s’échappe sur sa tempe se soulève retombe se colle.

Mal au bras mal au dos mal au ventre mal à l’amour mal à la vie
l’eau brouillée a des reflets d’acier.

Mais les draps volent emportés par le courage se posent sur leur fil comme des fleurs sur un cerisier flottent au vent. 

Laver, frotter, battre ce linge. Blanche la mousse du savon
Laver, propre, apaise, guérit. P
etite fille qui apprend au lavoir de la grand mère. Encore pur, aimée quand même, aimée après que ce soit arrivé. Dentelles, jupon, draps. L'amour peut-être , un jour. Enfant et petit drap blanc. 

Battre le linge, frotter, s'essouffler. Oublier le temps présent pour rêver dans le lait du savon. Regarder passer au lavoir le joli garçon qui fait battre le coeur. Redresser le dos, s'essuyer le visage et retenir la mèche de cheveux. Savoir son enfant qui dort au panier, là-bas, derrière. Se prendre au regard de l'amant impossible.
Oublier le mari terrible.

Rincer, pleurer de larmes qui partent dans le courant n'y changent rien. Plus triste hélas encore. Essorer, enrager contre soi. Retrouver la force de la colère. Détendre et plier, ranger pour étendre. Réfléchir. S'enfuir. Bientôt. 

Voir, le regard ami de la vieille 
Juste avant de partir. 
L'emporter, comme un talisman. 

La source

Les impressions proviennent de l’infiltration des sensations dans le corps. Celles-ci s’insinuent par sympathie dans les pores, les fissures et microfissures du corps, humectant des couches de plus en plus profondes, jusqu’à rencontrer l’âme. Là elles s’accumulent, remplissant le moindre vide, formant ainsi un réservoir d’impressions indicibles appelées sensibilité. La sensibilité chemine silencieusement dans l’âme en suivant les pentes du vécu, parfois pendant des dizaines d’années. 

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